LE NON

Pour être honnête avec vous, c’est un article que je souhaitais écrire depuis un moment. Le sujet revient régulièrement sur le groupe, au travers de posts sur les mordillements ou encore sur l’apprentissage de la propreté et, à chaque fois que je l’aborde lors d’une discussion avec un autre membre, afin de lui expliquer l’inutilité du « non » dans le cadre d’une démarche éducative, je me heurte à un mur dans 99% des cas.
Et, vous savez quoi ? Ça n’a rien d’étonnant. J’ai eu la même réaction que ces membres lorsqu’on m’en a parlé pour la première fois. Dans ma tête, je me suis dit : «Ok, je veux bien qu’on soit pour l’éducation positive tout ça tout ça, mais là… abandonner le non, il y a des limites quand même !».
C’est bien simple, le sujet est à ce point sensible que même certains éducateurs canins -pourtant excellents et enseignant avec des méthodes 100% positives- n’osent pas trop l’aborder non plus ou alors, juste du bout des lèvres.
Non pas par manque de courage ou de convictions hein, mais tout bonnement parce qu’ils savent quelles réactions ils vont obtenir en face : au mieux un certain scepticisme, au pire une réelle défiance. Bref, ce thème est toujours super délicat car suggérer à ces clients de renoncer au « non », c’est leur demander de renoncer à leur principal ressort d’autorité, de faire sauter le verrou de l’interdit pour leur chien et ça, dans leurs esprits (comme sans doute dans le vôtre aussi), c’est juste impossible : « Alors le chien fait tout ce qu’il veut et on ne dit rien… non mais c’est quoi cette absurdité ?!? ». Normal.
Encore une fois, j’ai pensé la même chose… et puis j’ai totalement changé d’avis lorsque j’ai eu le déclic.
Bien entendu, je ne vous cache pas que cela nécessite une sacrée remise en question et pas mal d’efforts mais, en prenant la peine d’aller au-delà du simple rejet de cette idée si saugrenue au premier abord, on comprend vite pourquoi le plus intéressant dans l’histoire n’est pas tant la suppression du « non » en tant que tel de son langage, mais bel et bien toutes les nouvelles perspectives offertes dans la relation homme/chien, dès lors que l’on cesse de l’utiliser.
Je vais donc essayer de vous expliquer tout ça et, même s’il y a de grandes chances pour vous n’adhèreriez pas à tout ce qui sera dit ici, qui sait : on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise…
• POURQUOI éviter le « non » ?
Oui, j’ai bien pris soin d’utiliser le verbe « éviter » et non pas « bannir » ou encore « éliminer » car, autant vous le dire tout de suite, vous n’arriverez pas à vous débarrasser de ce mot parasite. C’est juste impossible.
Il faut dire que c’est un tic de langage profondément ancré chez nous et dans nos sociétés, presqu’un réflexe. Depuis la toute petite enfance, le « non » nous sert aussi bien à exprimer le refus que la surprise, en passant par le déni, le mensonge ou encore l’interrogation. Bref, c’est un véritable couteau suisse du langage et il nous est donc très compliqué de faire sans lui… mais on va quand même voir pourquoi cela vaut le coup de se faire violence et de le prononcer le moins possible avec son chien.
– Il est source de stress :
Quel que soit le ton employé pour le « non », ferme ou pas, votre chien va ressentir quoiqu’il arrive votre mécontentement. Alors certes, vous me direz qu’il n’y a pas mort d’homme, mais le problème est que vous allez utiliser ce mot un nombre incalculable de fois dans une journée et qu’autant de petits stress vont s’accumuler chez votre animal (observables au travers de signaux d’apaisement par exemple). Ce stress, il va nuire à son apprentissage (difficile d’être réceptif quand on se fait gronder), voire même créer des comportements indésirables si le chien est trop réprimandé.
– Votre chien ne le comprend pas :
Contrairement aux affirmations que je lis régulièrement dans les commentaires -et même si votre chien est bien entendu très très intelligent- non, il ne sait pas ce qu’il a fait de mal. Le « non » est juste un inhibiteur de comportements. C’est à dire que votre chien va stopper ce qu’il était en train de faire lorsque vous l’utilisez… mais sans savoir spécialement pourquoi. Encore une fois, c’est juste parce qu’il va ressentir soudainement votre mécontentement qu’il va arrêter son action. Rien d’autre.
Prenons un exemple qui vous parlera peut-être plus, pour illustrer ça. Imaginons que nous marchions ensemble dans la rue et que, d’un coup, je vous dise « hep hep hep ! ». Vous allez vous arrêter, me regarder et sans doute me demander, un peu surprise ou inquiète « qu’est-ce qu’il y a ?!? ». Eh bien, si vous ne comprenez pas pourquoi je vous ai dit ça alors que nous parlons le même langage, en utilisant juste cet autre inhibiteur de comportement, équivalent du « non », pourquoi voudriez-vous que votre chien vous comprenne, lui ? Il peut y avoir mille et une raisons possibles : on n’a pas fermé une fenêtre en partant, on a oublié de prendre le cadeau pour l’anniversaire de la tante Gigi sur la table du salon, on ne va pas dans la bonne direction, vous vous apprêtiez à marcher dans une déjection juste devant vous… bref, le fait est que vous n’en savez rien car je ne vous ai donné aucune information en vous disant « hep hep hep ! », pas plus que vous ne donnez une information à votre chien en lui disant « non ! ».
A cela, on me répond souvent « si, si, mon chien sait très bien qu’il a fait une bêtise ». Là encore, c’est inexact, pour la bonne et simple raison que le chien n’a pas la notion de bêtise. Il ne sait pas qu’il ne faut pas grignoter le pied de la table, tirer sur le rideau ou dépiauter votre tapis tout neuf. Pour lui, ces objets auxquels vous tenez tant auront la même importance qu’un jouet qui fait pouic-pouic, qu’un bout de carton qui traine ou qu’une pomme de pain trouvée en forêt : tout ce qu’il voit, c’est la satisfaction immédiate qu’il peut en tirer en les mâchouillant ou en jouant avec. Ils n’ont aucun caractère sacré à ses yeux, contrairement à vous.
– Non seulement il n’apprend rien à votre chien mais, en plus, il peut s’avérer totalement contre-productif :
Si nous avons déjà vu au-dessus que le « non » était source de stress et que, donc, il nuisait à l’apprentissage, cela peut même aller encore plus loin dans certains cas. Je vais prendre deux exemples extrêmement courants.
Pour l’apprentissage de la propreté, beaucoup de personnes continuent à conseiller de dire « non ! » au chiot pris sur le fait, en train d’uriner à la maison. Au-delà de l’inutilité voire du ridicule de faire ça, sachant qu’un chiot ne peut contrôler ses sphincters avant plusieurs mois, vous pourrez aussi déclencher un effet secondaire assez indésirable avec cette pratique : votre chiot faisant l’association « je fais pipi = je me fais engueuler », il peut très bien décider de ne plus faire devant vous (bah oui, il n’est pas totalement maso). Du coup, il ne fera plus ses besoins en balade, puisque vous êtes là, et souvent se cachera pour faire chez vous, une fois rentré et à l’abri de votre regard. Avouez que c’est ballot quand même.
Autre exemple, avec le mordillement, pour lequel on conseille pourtant d’ignorer le chiot totalement : si, comme je le lis également encore souvent, vous lui dites « non ! » alors qu’il vous demande de l’attention en vous mordillant, vous allez en fait renforcer ce comportement au lieu de le supprimer. Oui, réfléchissez : lui, ce qu’il voulait avant tout en vous mordillant, c’est avoir votre attention… eh bien, même avec un « non », qui le stoppera certes durant quelques secondes et vous donnera la fausse impression que cela fonctionne, il aura gagné son pari au final : vous vous êtes intéressé à lui. Et, s’il a eu ce qu’il voulait, cette réaction de votre part, il n’a donc aucune raison de ne pas recommencer dans 5 minutes puisque ça marche. Mauvaise nouvelle pour vous donc : vous aviez raison, votre chien est très très intelligent.
– Il vous empêche d’exprimer clairement ce que vous désirez :
Là, c’est sans doute le point le plus important de ce post, ce qu’il serait important de retenir si vous deviez oublier tout le reste.
Lorsque vous dites « non » à votre chien, non seulement il ne comprend pas pourquoi et se stresse mais, plus embêtant, il ne sait surtout pas ce que vous attendez de lui. Ce mot sort si rapidement et avec une telle facilité de votre bouche quand votre chien vous contrarie, que ce soit en mordillant un meuble, en montant sur le canapé, en vous sautant dessus quand vous rentrez chez vous, ou encore en ramassant un truc dégueulasse au sol lors d’une balade, que vous en oubliez totalement de lui dire ce que vous désirez vraiment.
Il est là le vrai gros problème : avec le « non », vous êtes uniquement dans l’interdiction mais en aucun cas dans la proposition. Or, en éducation canine, il faut savoir que l’une des meilleures façons de supprimer un comportement indésirable, c’est de le remplacer par un autre comportement qui aura été proposé au chien, acquis et renforcé.
Ainsi, lorsqu’il monte sur le canapé par exemple, alors que vous ne désirez pas qu’il y soit, au lieu de dire « non », ce qui ne servira pas à grand chose puisqu’il retentera d’y monter dès que vous aurez le dos tourné, apprenez à votre chien le « tu descends » ou encore le « ta place » pour qu’il rejoigne son panier. Il grignote pour la énième fois le pied de la table basse ? Remplacez le « non » par un « tu laisses ». Il saute sur vous à votre arrivée chez vous ? Apprenez-lui le « au sol » ou proposez-lui un « assis », le temps qu’il se calme.
Bref, vous l’aurez compris, le truc assez génial lorsqu’on nous retire la possibilité de dire « non », c’est que cela nous oblige à réfléchir et à exprimer un ordre clair, propre à chaque situation. Et ça, un ordre clair, votre chien pourra parfaitement le comprendre, contrairement au « non », et faire enfin ce que vous attendez de lui.
Alors certes, cette petite gymnastique cérébrale n’est pas évidente du tout au début mais, croyez-moi, une fois qu’on commence à s’y habituer, ça change la vie et la relation avec son compagnon.
• Ok, mais on fait comment puisque c’est impossible ?
Eh bien il va falloir procéder avec vous progressivement, par étapes… comme avec votre chien.
– Prenez ça comme un jeu :
Fixez-vous des objectifs de temps durant lesquels vous ne devrez pas utiliser le « non ». D’abord durant 1 heure ou deux chez vous, puis durant toute une matinée, etc. Vous verrez, c’est plus compliqué qu’il n’y parait et cela demande un vrai travail sur soi, même avec des durées très courtes.
D’ailleurs, pour la petite histoire, il y avait un jeu à la télé quand j’étais gosse qui était un peu basé sur le même principe : le « ni oui ni non ». Les plus anciens ici s’en souviendront et la règle était assez simple : pendant 1 minute un candidat devait répondre à des questions sans jamais utiliser le « oui » ou le « non ». La quasi totalité des gens n’y arrivait pas et se plantait même au bout de quelques secondes seulement, c’est dire si ces mots sont des vilains réflexes, difficiles à contrôler.
– Vous n’y arrivez pas ? Faites un compromis !
Ce sera un travail long, très long même mais, si jamais vous sentez que c’est vraiment hors de portée dans un premier temps, vous pouvez essayez une autre approche en ajoutant une étape intermédiaire : à chaque fois que vous direz « non » à votre chien, forcez-vous à formuler aussitôt après un ordre précis.
Ainsi, au lieu de dire simplement « non », vous direz par exemple « non, tu laisses ». A force de répétitions et si vous respectez cette règle, vous verrez que petit à petit vous abandonnerez le « non » puisqu’il deviendra parfaitement inutile dans cette phrase. Le « non, tu laisses » deviendra donc « tu laisses ».
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Voilà, merci à vous de m’avoir lu. Surtout, si vous n’y parvenez pas tout de suite, ne vous découragez pas pour autant. Il est normal que ce soit long car c’est un gros travail de fond. Moi-même, après m’être imposé cette discipline depuis un moment, il m’arrive encore de lâcher un « non » de temps en temps (mais toujours suivi d’un mot d’ordre).
Bref, tentez l’expérience. Une fois cette habitude acquise, ce n’est que du bonheur